C’est une
voix…
« C'est moi et ce n'est pas moi
C'est mon corps
et ce n'est pas mon corps
C'est une voix
mais ce n'est pas ma voix…»
(Barbara)
Jamais une artiste de variété, sans jamais évoquer la question
elle-même, n’aura autant fait parler de sa voix. Il suffisait de connaître de
près les fans de Barbara pour les entendre analyser après chaque concert l’état
de sa voix (un peu à la manière des amateurs de la Callas, autre
« diva » mais d’Opéra celle-ci quand ils distinguaient telle ou telle
interprétation d’un air à l’état de sa voix).
Jamais une voix n’aura autant évolué sans que l’essence même de la
personnalité de cette dernière ne soit modifiée. Chaque période de la vie
artistique de Barbara est immanquablement reconnaissable au son de la voix du
moment.
« La voix
est le principal témoin de nos émotions, du premier cri jusqu’au dernier
souffle qui demeure un son, jusqu’au silence particulier qui règne après la
mort. Tant pis si la formule est un peu emphatique, mais je dirai
volontiers : ‘’La voix est la musique de l’âme ‘’ »
(Il était un piano noir - Barbara - 1998 Editions Fayard)
On
peut distinguer nettement quatre périodes :
1955-1969 la voix
claire
Dès le début de sa carrière, Barbara fait preuve d’une grande
maîtrise de la diction, la voix est très piquée, plutôt mezzo avec parfois des
accents traînants (Yvette Guilbert fut d’une grande influence), les
« R » sont roulés à l’ancienne.
Dans les interprétations des chansons des autres, la voix se
sent à l’étroit et cherche par tous les moyens à imposer la personnalité de
l’artiste. On peut d’ailleurs remarquer de légères accélérations du tempo dans
les interprétations de l’œuvre de Brassens par exemple ce qui à mon sens trahit
à la fois la nécessité de sortir d’un carcan par trop vieillot (on lui
reprochait souvent) et un besoin de dire ses propres mots.
Extrait
musical,
La Femme d’Hector
Paroles et Musique Georges Brassens
Une autre particularité séduisante, très personnelle à Barbara, consistait
à attaquer la note une demi seconde avant le temps, à stopper et à réattaquer
juste au bon moment comme si les mots ne pouvaient êtres retenus suffisamment
longtemps, une sorte d’urgence de dire.
1963 - Dès qu’elle s’est sentie à l’aise dans ses propres chansons
elle a souhaité donner plus de contrastes à sa voix en composant la mélodie sur
une plus grande étendue de notes ce qui procurait plus de musicalité à son
chant. Elle abandonne les accents traînants des diseuses d’avant-guerre et fait
preuve de sobriété.
Pendant
cette première période qui va de l’Ecluse à l’album « L’aigle noir »
(1970) la voix n’a cependant pas cessé d’évoluer.
1970-1979 la voix de
cristal
1970 - La modernité aidant, et un besoin de renouveler son style après
ses adieux à l’Olympia en 1969, Barbara change définitivement sa façon de
chanter à partir de l’album
« l’aigle noir » (1970). Elle ne roule plus les « R ». Les
aigus sont plus cristallins avec des effets très puissants, une manière de
projeter le son très en avant, de le faire virevolter, tout en articulant
beaucoup. Le son est retenu puis projeté avec éclat. Elle «mord » sur le
son.
1971/1972 - La voix est à son apogée et les éclats sont présents presque à
chaque syllabe
(cf.
« Le bourreau »).
1973 - Sur l’album de la louve apparaissent pour la première fois des
accents lyriques (Là bas, Chanson pour une absente) on sent une certaine fatigue , un manque de souplesse, des aigus plus soufflés,
que cette voix plus en arrière, plus opéra, vient compenser.
1978 - Les années qui suivront marqueront le début d’une modification
plus importante du timbre
de la voix qui devient plus dramatique et plus rauque avec
l’apparition de graves profonds en même temps qu’une intensification de la
puissance. On sent chez Barbara la conscience de cette transformation, elle
écrit des chansons qui permettent d’utiliser cette puissance nouvelle (Olympia
1978) qu’elle a d’ailleurs recherché longtemps en avouant qu’elle aurait aimé
avoir une voix comme celle d’Edith Piaf (c’est la raison pour laquelle elle
avait demandé en 1974 à G.Bourgeois une musique dans le style de Piaf pour «
l’Homme en habit rouge »).
« On
est en 1971, […] Voila que je tombe aphone. Un médecin prétend que je vais
pouvoir chanter. De fait je peux chanter, tant le médicament qu’il m’a prescrit
se révèle miraculeux. Je me sens parfaitement bien en scène, la voix éclaircie,
presque normale. Par la suite, au moindre enrouement, j’y ai repiqué. Ca m’a
bouffé les os, bousillé les muscles, déréglé la tension et fragilisé les
poumons. Je suis entrée dans un cercle infernal où pour calmer mes enrouements,
je m’accrochait à la cortisone qui, cependant me
rongeait, me détruisait peu à peu… »
(Il
était un piano noir - Barbara - 1998
Editions Fayard)
1980 La brisure
1981
- la
sortie de l’album Seule est une surprise pour beaucoup. Ni les artifices des
studios ni Barbara elle-même ne parviennent à masquer la brisure irrémédiable
de sa voix. Les mêmes nouvelles chansons qu’elle interprétait trois ans auparavant
à l’Olympia semblent (du point de vue vocal uniquement) n’être plus que des
ombres.
A la sortie de ce disque Télérama écrira : « Est-ce un
disque de chansons ? A peine. Ce sont plutôt des lettres déchirées qui nous
parviennent sans enveloppe et sans adresse ».
Devant ce constat, Barbara oscille entre la nécessité d’user
d’une maîtrise supérieure de l’appareil vocal pour sortir une note qu’elle
jugerait présentable et le désir de vérité qui la pousse à mettre en avant la
brisure. Cette ambivalence la poursuivra d’ailleurs jusqu'à la fin de sa
carrière.
Quelques mois plus tard, c’est pourtant cette même voix qui
parvient à envoûter près de trois mille spectateurs chaque soir sous un
chapiteau de cirque transformé en salle de spectacle. Barbara dépassera les
brisures et gonflera sa voix en l’amplifiant au maximum, ce qui lui permettra
d’interpréter l’ensemble de son répertoire. Elle donnera beaucoup (trop ?)
à son «amant de mille bras» au risque de tout perdre.
A
pantin : « je
suis venu pour vous dire Ma plus belle histoire d’amour c’est vous » devient Tant que je pourrai vous dire…
A partir de cette période les inconditionnels de la pureté du
cristal devront se faire une raison, la « magie-Barbara » est
ailleurs, et pourtant ….
1986 Le renouveau
« Au début, Lily Passion était l’histoire
d’une chanteuse qui perd sa voix » (Barbara)
1986 - A la suite d’une très probable opération chirurgicale au laser
(elle n’en parle pas) et d’une rééducation, la voix nous revient réparée. Une
voix modifiée quand même, plus cassante. Cette voix conserve tout les acquis
bons ou mauvais des années précédentes. Les aigus cristallins sont de retour et
elle en use au début avec des accents de cantatrice. Le souffle un peu brisé
s’entend néanmoins toujours mais reste à l’écart derrière le vibrato. Certains
passages de Lily Passion sont chantés presque avec la voix des débuts, d’autres
avec celle de Pantin ; elle joue de sa maîtrise pour nous donner à entendre les
mille en une couleurs de sa voix en faisant des
allers-retours dans le temps.
« Je
t'avais entendu venir
Et j'ai reconnu
ta voix
Ta drôle de voix
Ta brisure de
voix qui me griffe
Ta voix qui
geint
Ta voix qui
miaule
Une rivière de
larmes qui fait des sillons clairs
Au dessus et au
dedans de mes mains
C'est ça ta
voix
On ne peut pas tuer cette voix là »
(Lily Passion – Extrait - Barbara - 1986)
Barbara est heureuse de ce renouveau, et quand elle entonne
magistralement un passage de « ma plus belle histoire d’amour c’est
vous » au beau milieu de Lily Passion, le public est heureux de ce
ravissement, à nouveau captivé.
«Oh je t'ai
tellement cherchée, Je t'ai tellement voulue
Je veux voir ton visage, Le visage de ta voix »
(Lily Passion – Extrait- Barbara - 1986)
1987 - Après Lily Passion elle enchaîne une tournée et le spectacle du
Châtelet, puis une autre tournée, elle ne se ménage pas. A vouloir toujours
donner plus et en voulant jouer de toutes les possibilités qui lui sont
offertes elle semble oublier la fragilité de son muscle vocal. Certains
passages sont parfois criés, l’art de la chanteuse est de le faire au bon
moment, pendant la phrase ou sur la note qui convient mais parfois on souffre
un peu à sa place.
« J'avance
et c'est une autre qui entre en scène, Une autre qui chante.
Et les sons qui
sortent de ma gorge, Je ne les connais pas.
Des sons qu'on
a plantés là, des sons qui me font mal qui m'étouffent
Alors je les
crie, Je les vomis pour pouvoir respirer, pour vivre !»
( Lily Passion – Extrait - Barbara - 1986)
1990
- Pourquoi
décide t-elle encore et toujours de malmener sa voix ?
Peut être parce qu’elle la sent à nouveau s’en aller, puis
revenir. Les modifications volontaires du son chanté à partir de cette période
sont devenues devenu une part essentielle de son expression artistique. Je me
souviens l’avoir entendu à Orléans en 1992 pendant la tournée qui suivit le
spectacle de Mogador. Ce soir là elle était en voix, surtout au niveau des
aigus et bien elle n’a cessé de faire des variations jazz, chantant parfois les
couplets connus une tierce au dessus et redescendant ensuite, c’était
magnifique mais un peu déroutant. Un autre fan que j’ai rencontré ce soir la me
dit : « c’était beau mais parfois trop aigu… »
1993 / 1996 « Le jour se lève encore » (chanson 1993)
« Michel Field : Pensez vous que vous chantez
juste ?
Barbara : Ni
juste, ni faux ; à coté »
(Interview radio)
Juste avant le spectacle du Châtelet (1993), à un journaliste
qui lui posait une question sur sa voix elle dit : « Elle s’est brisée à Pantin, j’ai cru
la perdre […]. Aujourd’hui, curieusement elle revient », en effet à cette période la
voix avait perdu le coté cassant de 1986, elle était plus veloutée,
malheureusement Barbara était par ailleurs très fatiguée. Aujourd’hui Sa voix
s’est endormie mais elle brille au firmament des voix.
« C'est
moi et ce n'est pas moi
C'est mon corps
et ce n'est pas mon corps
C'est une voix
mais ce n'est pas ma voix
C'est une force
qui me pousse et qui m'anime
Ce n'est pas moi
et c'est moi pourtant
Avec eux, et
dans l'océan des salles obscures
Leurs mains
sont comme des fleurs d'écume
Qui s'ouvrent
se referment me caressent
Et me bercent
et m'emportent ! »
(Lily Passion – Extrait -
Barbara - 1986)