Le désir de chanter
« Est-ce
que l’on décide un jour de chanter ? Ou n’est-ce pas plutôt une très belle
maladie que l’on porte en soi sans parvenir à en guérir tout à
fait ? »
(Il était un piano noir - Barbara - 1998 Editions Fayard)
La
petite fille rêve depuis toujours d’être « Pianiste chantante ». Pour
se préserver des humiliations et conserver intact ce désir, un clavier
imaginaire flotte dans sa tête et parfois, du bout de ses doigts, il se matérialise
pour ceux qu’elle aime sur la table de la cuisine ou sur un matelas.
Mais
les carrières artistiques ne sont pas une priorité dans les familles pauvres de
l’après-guerre,
« Ton frère lui
sera Docteur.
- Tant mieux
bien fait, tant mieux bien fait ! »
Madame
Dusséqué, Professeur de chant, sera la première à la guider vers ce qui sera
désormais sa vie. Elle a 16 ans, elle veut faire du «
Miousic hall ». Avec son mentor que Barbara admire beaucoup, la débutante
découvrira l’Opéra et croisera le chemin de Maître Paulet « aux yeux
translucides » qui lui permettra d’être engagée comme auditrice au
conservatoire.
Théâtre
Mogador, 1948, elle sera la seule engagée à la suite d’une audition qui compte
trente-cinq participants. « Bambi » sera le surnom que lui donneront
ses collègues d’alors. Au programme : Violettes Impériales.
Février
1950, départ pour Bruxelles, tentative d’engagement grâce à un cousin éloigné,
c’est un échec. Rencontres avec des marginaux, lunettes cassées, notes d’hôtels
impayées, notre exilée est toujours en exode, elle veut rentrer à Paris.
Qu’est-ce que ça veut dire vingt ans si tu crèves,
Devant un désert de portes fermées,
Qu’est ce que ça veut dire si tu n’as pour rêve
Rien que ta folie de
vouloir chanter
(Mr
Victor [Chanson]-1981 -Barbara/Barbara)
Elle marche longtemps et puis, vingt kilomètres avant la
frontière : Une Chrysler noire s’est arrêtée :
-Où vas-tu ?
-A Paris
-Moi aussi. Monte je t’emmène ! »
C’est, Môssieur Victor « au cœur d’or » qui lui propose
de contourner la frontière, lui donne un peu d’argent, lui offre une omelette
et du café chaud… Il y aura d’autres rencontres avec des hommes «
croco-diamants », les voyous au grand cœur fascinent la femme et inspirent la
chanteuse…
« J'ai une ardoise avec le ciel, […] je
t'expliquerai
De l'argent j'en ai toujours eu
J'ai jamais su d'où il venait
J'ai jamais été pauvre
Au début ça étonne bien sûr
Mais après on s'habitue
J'ai des forêts des châteaux des lacs
Des torrents, des oiseaux d'acier
Des cargos, un couteau
Je suis un homme riche
Un homme misérable mais riche !»
(Texte dit par Depardieu, [ Lily
Passion - Extrait] Barbara - 1986)
En
1951, elle est plongeuse à la Fontaine des Quatre Saisons, chaque soir elle
peut y voir débuter Piaf, Eddie Constantine, Yves Montant, Mouloudji, … Elle
apprend.
1952,
Retour à Bruxelles et ouverture d’un cabaret « Le Cheval Blanc » avec
Claude Sluys et des amis Peintres, Ethery Rouchadze l’accompagne (divinement
bien) au piano.
Passages
au « Theatre 140 », mariage avec Claude Sluys. Ils se sépareront
trois ans plus tard mais ne divorceront pas. Son mari est un peu Pygmalion, au
début…
- Oui j’ai été mariée, …
- mais je ne me souviens plus du tout du visage de mon mari !»
(Lily Passion [Comédie musicale] - 1986)
1954, premier disque 78 tours enregistré aux studios Decca de
Bruxelles. Ce disque sera un échec commercial. Elle y interprète : Mon pote le
gitan (Marc Heyral / Jacques Verrières) et L'oeillet blanc (Brigitte Sabouraud).
En
1957, elle débute Chez Moineau à Paris. A partir de 1958, engagement périodique
puis définitif et ce pendant 6 ans au cabaret l’Ecluse. Elle en deviendra la
figure de proue :
« La
chanteuse de Minuit » que le tout Paris se presse d’aller écouter. Elle y
chante Brel, Brassens, Fragson, … et ses premières chansons sans oser dire
qu’elle en est l’auteur. Les rencontres et les amitiés s’enchaînent avec
d’autres artistes débutants ou confirmés. Quelques amoureux transis sont
souvent dans la salle de l’Ecluse, parmi eux : Jean Rochefort et
Jean-Pierre Marielle.
Liliane
Benelli, pianiste de l'Ecluse participe aux progrès de Barbara au piano qui a
débuté très tard l’usage de l’instrument et n’a d’ailleurs jamais su lire la
musique. Liliane deviendra, par ailleurs, le choix du cœur de Serge Lama. Grâce
à elle, il se produit en première partie de Barbara. Le 12 août 1965, il est
victime d'un terrible accident de voiture dans lequel la jeune femme trouve la
mort. C’est en hommage à Liliane Benelli que Barbara écrivit « Une petite
Cantate ».
Ô mon amie
Ô ma douce
Ô ma si petite à moi
Mon Dieu qu’elle est difficile cette Cantate sans toi …
(Une Petite Cantate [chanson] 1965 - Barbara)
Le rêve est devenu réalité, la petite Monique Serf est
définitivement transformée, elle se nomme Barbara, son métier ? « Femme
qui chante »!